Un soir entre la grande ville et la poubelle de l’humanité

 

Un soir entre la grande ville et la poubelle de l’humanitéUn soir entre la grande ville et la poubelle de l’humanité

Philip Glass – The poet acts
 

C’est quelque part entre la grande ville et la poubelle de l’humanité, un soir, entre les tours de verre et les grains de sable. C’est elle, lui, qui se prépare. Le raffut des applaudissements, le silence de la loge et le calme intérieur. C’est le rouge de la robe, ce sang qui afflue à fleur de peau, des hommes, des femmes, encore des enfants, à se produire tous les soirs, le maquillage à outrance, la peau défaite, la chair des lèvres données non pas données, livrées, tombées, exhibées, aux yeux de qui, aux yeux de tous, à la faim, la faim de quoi, le soir, exigées, entre la grande ville et la poubelle de l’humanité.

C’est le temps arrêté, précieux, les pensées vides, le flottement hors de soi, de son corps, de sa vie, c’est le temps précieux, tous les soirs à la même heure, au même endroit, le temps de ces quelques instants pour elle, lui, qui se prépare, le soir, entre la grande ville et la poubelle de l’humanité. C’est le temps précieux avant ce qui doit et va arriver comme tous les soirs entre la grande ville et la poubelle de l’humanité. C’est la coiffure qu’elle, il, réajuste, c’est le tissu qu’on étire, la robe rouge qu’on repasse de ses doigts, c’est l’expiration et les yeux qu’on referme, c’est le calme d’avant l’entrée en scène. Et la chair et les sexes et les monstres et les rires. Et moi qu’est-ce que je fous là, entre deux couloirs, entre deux bâches, je ne suis pas là. Et moi qu’est-ce que je fous là, l’appareil en main, à prendre ça, ces moments précieux, à voler cette solitude, ici, je ne suis plus là, l’appareil m’en tombe, et la photo suivante de la pellicule est celle du jour, d’oiseaux multicolores, plumes jaunes, bleues, crête rouge, et comment je serais arrivée ici de toute façon, je ne sais pas. Je ne sais rien, je ne sais jamais rien sur le moment, j’ai juste toujours mon appareil avec moi. Et un an après, qu’est-ce que je saurais de plus quand ma mémoire se serait entre temps amusée.

Je voulais vous parler du vent, des pluies cévenoles, de l’alerte rouge et des trains dont on ne sait s’ils vont partir et puis j’ai bifurqué. Sur ces deux photo parmi mille autres, sur ce soir-là, quelque part entre la belle Bkk et l’infâme Pattaya, alors en fait j’ai aucune envie d’en dire plus là-dessus, c’est terrible, il y a des mots qu’on n’a pas envie de trouver. Mais comme j’ai commencé consciencieusement un billet, il va bien falloir livrer quelque chose, alors voilà une vidéo qui vous parlera elle du vent, et de l’insupportable clic du photographe.

 

 

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)