Genoa Vs Massilia

 

Texte initialement publié chez Benoît Vincent dans le cadre des Vases communicants – Janvier 2011.


 

On me demande ce que j’en pense. Il se trouve que je n’en pense strictement rien.
De la pièce, des rideaux tirés, du matin.

 

De cette ville qui s’étend derrière moi sous mes pieds ou de moi qui me tends à elle à travers ces vitres pas lavées, je ne sais rien. Rien de ma fatigue ou de ma nudité. Rien de cette chair qui s’exhibe indécente aux murs nus, rien de la fatigue du Vieux-Port ou de moi, qui, quoi, rien. Rien de l’agitation de la mer ou du calme de l’hiver, rien de ce que j’aperçois de là où je suis. De reflets en reflets en vertige en perception qui file trouble : j’écoute ce murmure que tu as laissé,

 

tu m’as épuisée.

 

De elle ou de moi je ne sais plus ce qui s’est dit, ce qui s’est fait, ce qui peut se défaire en une nuit.
De elle ou de moi, je ne sais plus vers où tes pas s’en sont allés. Genoa, je crois que c’est par là-bas
que tu m’as dit t’être en allé. Des couleurs, des draps, de Genoa (?), de la chaleur, chaleur de nos corps et corps en chaleur, je ne sais plus duquel des deux le dernier mot aura jailli.
Rencontre-moi.
Dans cette ville que je ne connais pas.
Dans cette ville que je ne reconnais plus.
Genoa VS Massilia.

Je suis putain. Putain qui tente un dialogue de ce qu’aurait été notre dernier si l’on s’était rencontrés, là-bas, dans cette ville que je ne reconnais pas.

 

Quatre heures et demi. Nuit. Tu es déjà levé.
À moins que tu n’aies jamais dormi ?

x : Je m’étais assoupi.
y : Tu m’as oubliée.
x : Pourquoi tu dis ça ?
y : C’est terrible quand même  |  je nous avais oubliés.

 

x : Il fait froid.
y : Tu as dormi.
x : Oui c’est la nuit.

 

extérieur nuit

x : Je suis à l’extrémité des mots.
y : Tu es fatigué.
x : Non.
y : Décharnés sont tes mots.
x : Je ne te connais pas.

 

x : Tu m’as oublié.
y : Tu ne me reconnais pas.

 

y : Rien, tu ne sais plus ?
x : Rien.

 

y : Tu dis la mer  |  ça ne veut rien dire la mer  |  ça n’existe pas.
x : Je dis la mer pourtant  |  elle est là.
y : Je suis là.
x : Oui tu es là.
y : Fuir n’existe pas.

 

xy : Nous sommes là.

 

y : Ta présence. Ta venue. Tout est là.
x : Te veux nue.
y : Une escalade de salades oui  |  une cigarette, donne-moi une cigarette.
x : J’ai froid.
y : Rentre je te dis.  |  « et la neige ne cesserait de tomber au dehors. » t’écrit-elle sottement.
Je l’ai vue.
x : Quoi ? Qui ?
y : Dis-le.
x : De ?
y : Tu sais très bien.
x : Te veux nue ?
y : Ça n’est pas ça  |  je rentre tu m’énerves.

 

intérieur nuit

 

y : Je suis née
x : Dans la nuit ?
y : Je ne sais plus.  |  Dis-le.
x : De la nuit.
y : …
x : Tu es née oui.
Et alors ?
y : Nue.
x : Nue.
y : Sous tes doigts ?
x : Sous tes doigts.

xy : Réchauffe-moi.

n’appelle pas de réponse.

et ces corps étendus
presque une hérésie

x : Où en sommes-nous ?
y : Là où nous plions.
x : Sous le poids
y : Sous le poids.
x : Ça ne fait rien  |  j’ai le temps.

 

Mots. encore tes maux. lire. encore lire. gribouiller raturer effacer écrire relire rappeler quoi mots en fuite se font la malle raconter encore. plus loin. mal. une version deux trois raturer encore recommencer.

 

doute

 

tu ne veux pas l’oubli
tu ne veux pas mort du feu
tu ne veux pas que
je t’oublie
sinon pourquoi serais-tu là ?

 

je cherche encore.

intérieur jour

 

x : Tes ligaments.
y : Ces lits d’amants.
x : Tu es folle à lier, tu mens.
y : Folle à lier oui sûrement.
x : Lié à m’en foutre.
y : FOUTRE.

 

x : Je t’attends.

 

y : Peux-tu  |  entrevoir  |  un brin
deux
trois
quatre
ne sais plus.

 

x : C’est plutôt elliptique ton texte, on n’y comprend rien !

 

x : Tu as oublié la cédille.
y : Qu’en sais-tu ? une brindille !  |  Tu as toujours raison  |  dille  |  brindille  |  brin  |
baiser
x : J’avais mal vu.
y : Tu as mal lu  |  j’écris trop vite  |  tu lis trop vite.
x : Non il n’y a pas de fautes.
y : Entre nos silences ?

 

x : La faute à qui ?
y : Au temps.

 

x : Mais respire !
y : Laisse-moi veux-tu  |  tu m’ennuies.
x : Ça n’est pas grave  |  j’ai le temps.

 

y : D’accord.

 

Relâche.

 

y : Dans ces intervalles  |  quoi d’autre  |  dirais-tu ?
x : Écrire c’est se taire.
y : Tu ne comprends pas.
x : On y vient.
y : On y vient à rien du tout  |  tu le sais déjà.

 

x : C’était déjà là

 

xy : bien avant nous  |  bien avant la nuit.

 

y : Je cherche un endroit où réfugier nos maux, quelque part. Ne vois-tu donc pas ?

 

x : C’est ce que tu ne vois pas dans le noir.
y : C’est le pire  |  c’est ce qui s’écrit.
x : Tu m’ennuies.
y : C’est ta hanche que je frôle.
x : C’est ce hurlement sans fin.
y : C’est l’obscurité.
x : Oui c’est la nuit.
y : Tu n’as pas dormi.
x : Je m’étais assoupi.

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« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

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