Nous ne sommes pas des méduses (2)

nous ne sommes pas des méduses (2)

Max Richter – The young mariner
 

Prométhée sous-marin la valse lente de nos machines de métal continue de les titiller, de les exciter, de les attiser – stupides seraient-elles au point de nous livrer leur trésor. Pourquoi ne pas les laisser, pourquoi ramener dans ces eaux ce qu’il y a de terre, pourquoi s’épuiser à vouloir nous rendre quelconque humanité. De quelles grâces jouissons-nous ? Ce savoir qu’on a perdu, cette obstination dans la destruction, ces enfants à qui on livre terre de misères et tous ces mots qu’on n’a jamais sus et qu’on ne reconnaîtrait jamais – une mauvaise tâche dans la nuit, dans cette nuit qui nous montre la perfection du monde.

C’est dans la déchirure de leur corps par la lumière et parce que le vent les traverse, les soulève et les viole que la nuit devient irréprochable. Irréprochable. La nuit le jour le matin et tout ce qu’on érige en beauté qui est moins que cette déchirure, moins que le vent, moins que ce viol et moins que cette lumière qui ne peut prendre naissance que dans ces eaux : la Baltique, ses étoiles, leurs ombrelles. Et nous : cette mauvaise tâche dans la perfection.

Rêve en ce matin alors de notre abandon, de notre retour sur la terre ferme, qu’on aille donc poursuivre nos accumulations de déchets et amoncellements de cadavres ailleurs. Rêve en ce matin alors des jours qu’on écraserait sur nos peaux transparentes, et faire et refaire le même rêve en tous points similaire pour que jamais il ne meure. Non nous ne saurions jouir nous aussi de ce trésor ni de cette calcination qui vient de l’intérieur : nous ne sommes pas des méduses.

 

Galerie • Vers la nuit
Galerie • Vers la nuit

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« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

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