un songe.

La Havane, Cuba, Juillet 2011

Philip Glass – Violin Concerto II

Carnets de route
La Havane, Cuba, Juillet 2011

Cuba et cette impossibilité de dire. Si j’ai aimé, si c’est la fatigue, le décalage, si j’ai jamais su décerner le vrai du faux, et le soleil qui burine les crânes et le rhum qui coule à flots. Alors se laisser porter au gré des rues, vite, plus vite encore, monter des escaliers, passer des paliers, des marches encore, une cour intérieure entre deux immeubles, le linge sur des fils qui sèche, les vieilles qui parlent et les éventails qui chuchotent et les chats qui siestent encore entre deux rayons de soleil, paresseux anéantis, continuer. Traverser la ville, faire l’impasse sur les sites touristiques de la cité, ses remparts, son canon, son fort, il n’y a plus que le nom des rues qui défilent, les places, le cagnard, les hommes, les murs des trottoirs qu’on rase, y chercher l’ombre.

Départ précipité pour organisation zéro, une habitude. Pas même un guide de voyage, quelques lectures préalables ou même un plan sous la main, pas besoin, pas ici, pas quand les gens bien qu’habitués aux cohortes de touristes sont en demande encore de nouvelles du monde extérieur, loin de la revolución, désuétude, loin des tickets de rationnement, du Havana Club, des chaînes T.V. de propagande, loin de Disney Channel. Disney Channel. Se laisser porter dans la rumeur de la foule, assoiffée par les degrés, et n’y voir plus que mouvements et couleurs, un tourbillon à 43°C, les gens qui se saluent à tout va entre eux dans la rue, échanges de bises, tapes dans le dos, entraide, business. Cigares, rhum, clichés : non, passations, affaires, survivre, tickets de rationnement, rationnement. Cocher les cases lait, farine, riz, œuf, poulet, le nom des parents, des enfants, les mois, les petits cahiers gribouillés. Atterrir dans les quartiers déshérités de La Havane, comprendre à moitié ce qu’on m’y dit, de la crise de l’eau, de l’eau coupée, comprendre quelque temps après, en voyant ces chaînes d’entraide entre voisins, que l’eau est revenue. C’est des bidons, des fûts, des tonneaux que l’on remonte chez son voisin puis chez soi pour ré-approvisionner les foyers, un à un, dans une chaîne qui semble interminable et qui ne durera pourtant que le temps d’un après-midi et d’un crépuscule. Un va-et-vient incessant de pas, de charges sur l’épaule, sans un mot un soupir, et penser à D. qui dès qu’il me voit me demande si j’ai de l’eau sur moi pour se repaître d’une traite des trois quarts de ma petite bouteille d’eau. Rien de plus rien de moins.

Des photos volées, floutées, comme un mirage un rêve, une non-réalité dans laquelle le temps de quelques jours j’aurais été mise en apnée, trimballée, bringuebalée, un tourbillon dans lequel je n’aurai eu aucune maîtrise, perception troublée à l’instar de la mise au point que je constate sur mes photos (à venir), ma focale totalement déréglée. Alors La Havane je ne sais pas. Je vois tous ces sourires sur mes prises de vue, l’endroit, l’envers, le système D, l’arnaque, l’embrouille, la censure, le partage, les rires, la convivialité, la curiosité mais tout fut trop bref et de mes neurones en peine en ces temps-ci, le Havana Club m’aurait peut-être tuée.

J’ai mis ces cinq premiers portraits en ligne mais la nécessité d’une pause ou plutôt d’une rupture m’apparaît clairement si je veux rester honnête avec ce que j’ai bien voulu prendre et comment. Alors voilà je mets ici cette photo de bateau, d’horizon, prise de ma chambre d’hôtel le dernier soir à La Havane (et qui clôt donc la série) tout en sachant pertinemment qu’elle aurait pu être prise de n’importe où d’autre ailleurs dans le monde. Évidemment.

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)