l’enfance rouge

Lotfi Bouchnak & L’Enfance Rouge – N’habbik

De l’autre côté de la mer, à l’orée de l’après-midi, des hommes traversent les murs d’un palais. Au fond d’une cour battue par le soleil, du linge suspendu aux fenêtres sert d’abri aux chats, las, qui dorment à l’ombre de tous nos désirs. Une femme, marquée par la fatigue des jours lents, s’affaire autour de vêtements à repriser. Son enfant, dans un geste mécanique, fait rebondir un ballon de cuir contre la porte. Tape tape. Des retrouvailles se préparent.

Qui frappe à cette heure ?
La main de la mort ? Le cri de la naissance ? **

Bruits de pas, murmures, une agitation de plus en plus grandissante se fait sentir depuis les contre-allées du palais. Et puis plus rien, le silence — l’attente.

Moi la femme ignorante
Je poursuis ce que je ne veux pas, désire ce que je poursuis, jusqu’à ce que malheur m’assomme

Chemins de traverse, ce sont des paysages aux mille teintes qui sont enfermés encore dans quelques visages et s’apprêtent à délivrer leurs aspirations. Foi en la vie, espoir de réconciliation, message de paix — le combat pour la vie. Au-delà de toute notion de tolérance : l’amour de l’autre, son frère, par-delà les langues, par-delà les frontières — ruisseaux, rivières, montagnes, porte porte Atlas le poids de ce monde, relâche relâche ce qui gît entre tes mains, brise brise tous ces murs qui s’élèvent.

Je suis la femme rescapée
Ils n’ont pris de moi que ce qu’un vent prend à une forêt, dissimulée, je marche sur l’eau, déploie mes ailes

Des vies multiples, venues de régions lointaines et aux accents fort différents, joignent leurs cordes et s’entremêlent. On est à Tunis, Tanger, Marseille. Le battement des cœurs. Il faut du temps pour reconnaître que ces hommes, dont on distingue à peine la nervosité des mains, ne parlent pas la même langue mais le même langage. Tremble, tremble la voûte du palais, quelque chose se prépare, des voix s’élèvent.

Marseille

* Billet initialement publié dans Indiectators (le bon goût malgré toi), mars 2014 ; merci à Alexandre Lenot (@1GRR) pour l’invitation au voyage.
** Citations extraites de Rifaat SALLAM, Pierre flotte sur l’eau, cipM / Spectres familiers, 2009

 

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)