d’entre les heures

bangkok © candice nguyen

Orange Blossom* – Ya Sidi

je dépose ça au creux de ta nuit, cette longue nuit à veiller comme hier, et le soir d’avant et les précédents encore, nos corps exténués et les esprits qui ne se résolvent à dormir, au creux de ta nuit on parle du sommeil des justes comme un mythe transformé en monstre a-t-il jamais existé ? peut-être qu’on est passé à côté, à un moment un couac, peut-être qu’on est passé à côté, à côté de quelque chose, qui pour dire quoi pourquoi ou comment, on n’arrive plus à aller se coucher, déambuler déambuler la ville un coup sous nos pieds l’instant d’après le ciel qu’on recherche d’entre les tours et cette masse qui grouille à dériver : nous ne sommes pas seuls, nous sommes seuls par milliers, au pied de la Ville comment s’en échapper, cette folie la nôtre commune qui taraude et nous guide, on est à bangkok doha new york carton-pâte grouillant vivants tu ne nous vois pas et pourtant, pourtant nous sommes là par milliers, à tenter chaque soir d’oublier, d’oublier le jour qui ne sait plus comment simplement rajouter au jour ou peut-être a-t-on oublié, éparpillés déambulant alcoolisés défoncés, rongés brûlés par milliers chaque nuit à dériver
sans jamais réussir à se perdre vraiment
claudiquant chape de plomb de tout son poids : ces épaules regarde-les ! toujours un ptit truc pour nous ramener à la réalité et pourtant on ne demande que ça du réel, comment nous a-t-il échappé ? la nuit tombe sur la Ville et on voudrait bien s’y perdre pour oublier, rêves d’éblouissement, de déserts de sable ou de glace pourvu que l’horizon devienne ondulation illusion apesanteur et cetera la fata morgana, et ce jour qui n’en finissait pas je me souviens, quatre-vingt-cinq, c’est le nombre de son étendue étale mais cela fait longtemps que je n’ai plus su compter (alors peut-être quatre-vingt-huit ou soixante-dix-sept), ses sentinelles glacées, un coup de folie à partir plusieurs mois seule par là-bas, avec cette tente dont j’espérais n’avoir jamais à me servir, une tente, mais quelle folie par-delà le cercle polaire, quelle distance faut-il pour se perdre, jusqu’à quelles extrémités pour pousser son corps, sa vie, je me rêve dans les pays du proche-orient où pour l’instant je n’irai, je me rêve bousculée dans mon être dans ma chair mais ce soir, d’entre les heures, ce morceau seul pourtant

 
marseille © candice nguyen

 

* Orange Blossom est un groupe nantais.

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)