je crois encore entendre (l’épure et la grâce en plein cœur qui vient)

post-scriptum

Beniamino Gigli & Enrico Sivieri (piano) – Mi par d’udire ancora (1951)
(Les Pêcheurs de Perles, Bizet)

« Comme le matin stagnait, il ne vous restait plus qu’à réinventer un langage et des gestes.

Et à nouveau déferle le tonnerre des galets.

Le sel se décollait, par plaques, de ses épaules et de ses bras, crissait, comme une mécanique qui se réanime.

Il se mit à songer aux siècles qui l’avaient engourdi. Puis, désormais libéré de toute chaîne, il fit un pas. »
Volodine, Lisbonne dernière marge (Sixième partie)

_épure : c’est une grâce en plein cœur qui vient. totalement dénudé par rapport à la version orchestrée de 1925 à laquelle j’étais habituée depuis les années estudiantines — Je crois encore entendre Bizet mes jeunes années
ces lents après-midi à tenter de travailler mes cours depuis un salon de thé au charme rétro-colonial et l’ambiance familiale de quartier — les plantes, cages à oiseaux, mobilier en bois dépareillé, la mezzanine, des cadres partout et l’odeur du thé mélangé à celle des crumbles et autres douceurs de la journée, le jeune collégien cartable sur le dos qui passait dire bonjour après l’école à sa grand-mère, elle, son regard par-dessus ses lunettes retenues par on ne sait quel miracle à l’extrémité de son nez, son carré bouclé, son élocution élégante   d’un autre temps, la voix légèrement pincée, les opéras qui défilaient — dont Lakmé je me souviens, c’était non loin de Mouffetard, rue du Pot de fer, ne sais s’il existe encore ? et son prénom, à elle, marie ? elizabeth ? ou rien à voir…

« À ce stade de sublime, c’est la première partition de piano que je reprendrai depuis dix ans (Acte I, Romance, Nadir) »
(cette phrase, je l’ai écrite à l’automne 2012 et j’avais oublié.
si même mes notes ne me servent plus à pousser les murs du temps que faut-il alors)

_dans un coin de ma tête depuis que je l’ai lu chez Karl Pro, ces simples deux mots : géographie intime qui résonnent et dessinent une carte où les fils de laine commencent à s’entrecroiser
(j’ai idée de ces feuilles arrachées au…
… au vent,
aux marées,
à d’autres trucs aussi bien sûr, qui seraient une nouvelle catégorie de ce site – et tout reste en jachère pour le moment, les brouillons s’entassent et la vie lente)
Nos souvenirs d’enfance sont les éléments d’une géographie intime.
Je crois encore entendre
la rue péan
le noisetier
le mur en pierre comme de l’or de l’école maternelle que nous grattions inépuisables enfants,
le chemin de l’école primaire quelques mois après, les gros chiens qui faisaient peur et les pièces de monnaie trouvées par terre — pour quel usage ?
les ronces de rentilly dans le désordre l’ex-yougoslavie
les parcs de choisy et de bercy
blao sa terre rouge les caféiers
oakland, californie, la moquette de 15 cm d’épaisseur et ses yaourts maison que je découvrais émerveillée
les grandes marées

il faudrait commencer par les grandes marées

ou mes premiers pas
sur les galets

 

« lames de l’absence
tracent la roche et l’éboulis
parfois même le vent
dessine une avalanche »
Francis Royo, Bribes 7.6

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)