je vous écris d’un jour sans pluie

Cher A.,
Je vous écris d’un jour sans pluie la tristesse qui m’envahit. Ces pays sont aussi secs et arides que la vieille bique qui partage mon palier, c’est dire que mes larmes ne trouvent même plus compagnie ici et véritablement s’ennuient. Je songe à déménager prochainement, je ne supporte plus ses rides provocatrices qui me rappellent avec prétention combien mon jeune âge face au sien ne fait pas le poids et combien il me reste encore de souffrances et d’attente avant que je ne puisse jouir à mon tour de ces attitudes complaisantes dont la société fait preuve à l’égard des sorcières. Car il faut bien le dire, les femmes vieillissent mal ! A la jeunesse tout est excusé, à la vieillesse rien n’est blâmé et à l’âge intermédiaire dans lequel je me situe rien n’est pardonné.

Iva Bittova – Gloomy Sunday
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Pourquoi donc les papis semblent-ils toujours s’adoucir avec le temps tandis que nous autres devenons acariâtres ? Je hais la vieillesse pour cela, non pour cette dégénérescence du corps et encore moins pour ce soi-disant surplus de conscience de la fatalité qui nous touche tous, mais bien pour cela, ce regard péremptoire sur la vie et les gens, je me damnerais pour kidnapper son chihuahua infecte et le remplacer par un bon grand dogue dans la fleur de l’âge, un jeune mâle ! qui la traînerait ainsi de toutes parts à l’autre bout de la ville à la laisse accrochée. Ah pardonnez mes propos mesquins A., j’ai eu quelques désagréments ces jours-ci, comme un besoin de me défouler et je sais qu’à vous je peux tout dire. Vous me manquez. Venez donc me rendre visite quelque jour prochain, je vous emmènerai voir des coins somptueux car si le paradis devait exister, je dirais qu’il est ici.

Les gens n’ont pas idée de ce que cette ville peut cacher comme trésors, ce qui me convient néanmoins car le bonheur ne devrait être réservé qu’aux plus méritants. Ah mais voilà que je recommence à jacasser et  marronner. Pardonnez-mon impulsivité. Il semble bien que je devrais aller m’oxygéner un peu au risque sinon de devenir comme ma voisine. C’est que la pluie me manque terriblement et rien ici n’est fait pour les humeurs comme celles qui m’habitent en ce moment. Vous aviez peut-être raison la dernière fois, je devrais prendre un amant, nous tromperions le spleen et le temps ensemble à grands coups de soirées embrumées et enivrées. Mais vous savez bien que je vous attends pour cela. D’ailleurs, avez-vous eu des nouvelles de H. ? Je m’inquiète un peu, j’ai eu deux retours de courrier, j’espère qu’il ne nous a pas refait pas une crise à s’enfuir à l’autre bout du globe sans daigner nous prévenir, je l’aurais suivi cette fois-ci. Dans l’attente de vous lire mon cher et tendre ami,
C.

P.S : Je vous joins une photo pour que vous voyiez l’avancement de ma cabane en bois, elle n’est pas bien grande mais surplombe la mer, vous y aurez votre couchage quand vous viendrez. Voyez comme je pense à vous et comme finalement, je ne suis pas si ingrate.

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)