ces obsessions de la nuit (Jean-Michel Maulpoix)

pas-sur-la-neige

lorsqu’il ne reconnaît plus autour de lui le grand corps odorant d’une maison familière. Il ne peut s’abandonner à la nuit, s’oublier tout entier dans sa mémoire sans fond. Et ce sont alors toutes les ombres qui autour de lui deviennent menaçantes ; c’est du temps qui revient, qui insiste et qui cogne avec des bruits de chaînes et des cris angoissés.
Nuit blanche : à coup sûr la plus noire de toutes, épaissie de questions, mais portant son aube avec elle, ici venue, sur ce papier qu’il faut brûler à la flamme ayant tremblé toute une nuit dans la tête, la flamme d’une insomnie qui noircit la page au matin après avoir blanchi la nuit.
Nos questions éclosent dans le vide comme les fleurs de cet infini dont nous oublions qu’il nous entoure. Peut-être même ne sont-elles que du vide qui se met à parler, empruntant pour sa convenance ce morceau de chair que nous sommes et qui n’a d’autre raison d’être, dans le silence immense des astres, que de prêter parfois sa plume et sa voix au rien extrême de ce qui est.

Pilöt – Zero

– Ton cœur, dit-on, a froid.
Tu n’es qu’une ombre blanche. Une ombre de papier blanc. Puisque dans l’écrivain le poète est celui qui insiste, continue de frapper à la porte pour qu’on lui ouvre. Il a marché longtemps, dans le froid du temps, sous la neige. Ses cheveux ont blanchi. Il vient pour réclamer son dû, l’impossible réparation de l’idéal brisé, laver un crime ayant pour nom : fin de l’espoir.
Ce fantôme dérange les dormeurs. Il ne chante pas, ou guère. Il interroge plutôt. Il veille sur la question. Penché sur nos raisons de nous tenir debout, il cherche le pourquoi du chant.
Il est de ceux qui déchiffrent les gestes, entrebâillent les visages, découvrent et fouillent le secret des cœurs sans en avoir l’air… De ceux qui cherchent ce qui se cache au fond des yeux, ou ce qui chuchote sous la voix. Ceux pour qui toute forme de vie recèle une énigme dans une évidence.
Il dit à qui l’écoute :
« Choisis-moi parmi les morts pour ma grande anxiété et mon grand désir. »

Jean-Michel Maulpoix, Pas sur la neige

— la nuit dernière au coucher j’écrivais dans le petit cahier noir près du lit il y a des obsessions comme
Granville, les kiwis qu’on cueille avant le gel, la poussière dans la lumière — ou la lumière dans la poussière, le ressac à la nuit, le premier matin de neige, l’enfance qu’on porte en soi, la vibration lourde et chaude d’un violoncelle, la rondeur quelle qu’elle soit, la pluie qui claque les visages, le grain des peaux, toutes ces voix qui s’entrechoquent, le chuchotement et l’apaisement qui en suit, le piano droit grand ouvert devant soi, son panneau posé quelque part sur un côté de la pièce, ses basses qui font trembler l’espace de la nuit et la résonance en soi — la cage thoracique qui prend vie, le geste simple de respirer qui a perdu de son naturel et se remémore à vif contre l’oubli, les nuits de profond sommeil, leur si grande rareté, et tout ce qu’il y a dans ce texte de maulpoix, tout ce que l’écriture ressasse sans cesse et sans jamais parvenir à accrocher quoique ce soit, tirer sur la pelote, plus tu tires plus les fils entre tes mains s’allongent et s’emmêlent, ce qu’on lui demande, à l’écriture, à la photographie, à la vie, pelote après pelote, tiroir après tiroir, commode après commode, un dépotoir immense

tu peux soutenir la nuit, ici.

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)