lichen (Jean-Michel Maulpoix)

enfance

Sister Crayon – Stem

L’enfance somnole derrière les meubles. La petite maison est si grave. Nous y restons quatre ou cinq heures, presque sans bouger, comme auprès d’une tombe. Le poulailler vide s’est couvert d’herbes folles et de tuiles brisées. Deux grosses poules déplumées sont assoupies sous le poirier.
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J’ai trop aimé l’état d’enfance. Il me collait aux lèvres. Je prenais goût aux cérémonies de l’absence. J’observais longuement le creux que laisse au matin une épaule au-dessous de l’oreiller quand la dormeuse s’en est allée. Comme si cette empreinte était la mienne.
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J’écris comme on recommence à marcher, après être resté blotti longtemps entre des draps sans odeur, comme on se souvient par bouffées de son enfance, comme on prie à genoux dans l’herbe les dieux qui n’existent pas. Je tourne autour d’un nid de chair.
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J’écris dans le souvenir d’une orée, ou d’un matin d’hiver étincelant de givre. Je creuse un lent filon de neige, au fond d’une mine de chair. Je crois inventer, je me souviens. Tout s’effondre à mesure. Chaque jour, avec d’invisibles fils, il me faut ainsi repriser le tissu de ma propre vie.

Jean-Michel Maulpoix, Un dimanche après-midi dans la tête

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)