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traverses © frédéric chabot x candice nguyen
© frédéric chabot

Je voudrais une langue dénudée de tous mots, pas un langage non, une langue qui tentant de nommer ce qui l’environne et l’enveloppe, prononcerait des choses qui ne sont pas des mots — chargés de trop d’histoire déjà pour que nos vécus y fassent correspondre les mêmes objets — mais qui seraient des ondes, parvenant aussi bien à ta compréhension qu’à la mienne, des ondes nous traversant, nous enveloppant et nous remuant pour éclairer d’une lumière intelligible le casier ouvert entre nous.

Ainsi faisant, nos incompréhensions mutuelles se fondraient dans une entente semblable à deux corps après l’amour. Ce pourrait être des odeurs gardant en eux le souvenir intact de leurs sensations et représentations. Ainsi l’odeur du chèvrefeuille qui entourait le petit chemin de campagne menant à la maison de la voisine touchée d’obésité invoquerait l’enfance (tu vois comme on doit remonter loin déjà ; et ce chemin vers l’enfance en une voûte de chèvrefeuille : on ne peut s’y tromper) ; ainsi la confiture de fraise en train de mijoter le sentiment d’amour et d’émerveillement devant la mère magicienne. Mais là pourtant je t’entends me dire, il s’agit de tes propres réminiscences développées en des fioles. Je ne te comprends pas. Tu as raison : on ne se comprend pas.

Il faudrait une langue commune, des phéromones pour humains lorsque les mots se dévissent au point de sortir de leur axe et d’engager des représentations inverses de celles appelées. Pour parler du nourrisson alors, on utiliserait le parfum du lait séché légèrement vinaigré par la sueur, pour parler du grenier des parfums de bois tendre et de poussière, pour parler de la mer ou de la piscine, cela devient plus évident, mais pour parler de notre désir alors, il faudrait convoquer l’odeur de la mousse et des lichens sur les hautes parois de la toundra un matin d’été.

 


Moth Equals – Kami
 


 

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/ à propos des chemins de traverse

 

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)