dans le léger balancement des courants


Ludovico Einaudi – Elegy for the Arctic (Official live for Greenpeace) > vidéo en fin de billet !
 

_extrait du carnet de notes de là-haut, daté d’il y a un an ; au sud de maniitsoq, groenland :

64°52’7.70″N 52°11’7.70″W > 65°06’9.37″N 52°07’0.94″W

Vendredi 19 juin. Dormi dans le léger balancement des courants. Au matin, je suis prise d’asthme et me rendors jusque dix heures et demi. Au dehors, le ciel bleu est immense et le soleil chaud. Nous partons en balade sur la partie gauche de la baie que nous n’avions pas arpentée la fois précédente. En contrebas, des petites plagettes de galets, les fonds clairs approchant le turquoise méditerranéen. La toundra découverte laisse éclore ici et là de petites fleurs fuchsia au beau milieu des lichens et des mousses couleur vert opale, vert de lait, vert de jade. Les premières mouches semblent toutes excitées par l’arrivée de l’été. Je m’installe face à la mer dans le renfoncement de la roche et regarde longtemps les scintillements par milliers danser sur les eaux, face soleil, en contrebas : le ressac. Je pense alors à V., puiser dans cette lumière infinie la force et le courage de continuer. Nous sommes si peu de choses et le temps humain tellement anecdotique; ce don précieux de la vie. S’y tenir funambule ou ancré au sol, qu’importe. Je constate que depuis quelques semaines, je m’extrais des conversations dans un mouvement égoïste et nécessaire de repli sur soi. Il n’y a plus que la joie, son partage, qui m’importent, et pour elle seule et la beauté des jours, j’imagine des traversées, des possibles ici et là, faisant bien probablement que je me retrouve ici, devant cela, à cet instant précis aujourd’hui. Entre ce qu’on désapprend malgré soi et ce qu’on désapprend volontairement — toutes ces choses dont on essaie de se défaire, les chaînes, les arcanes et stupidités accumulées au fil du temps, le long travail de cette vie lente me fait entrevoir une vieillesse, si j’arrive jusque là, dépossédée de tout mais peut-être alors, plus incarnée. Incarnée, de chair, animale, terrestre, le sol sous les pieds, les rayons de soleil sur la joue, c’est tout. Cette même litanie d’être au monde qui se creuse de plus en plus au fond de moi.

Nous retournons voir le hameau abandonné : la neige a quasiment tout fondu, exhumant de la terre des trésors cachés. On s’imagine les vies des travailleurs d’autrefois alors qu’arrivait la saison des pêche et chasse. Je reprends quelques photos des maisons éventrées.
Vers 17h45, nous quittons la baie pour remonter un peu plus au nord, et je passe la majeure partie de la navigation à contempler les mille soleils courant le repli des vagues et des ondulations provoquées par le bateau. Je filme leurs danses, leurs chassés-croisés et leur légèreté à surfer dans les replis. J. appelle
« Baleine ! Baleine ! », moteur éteint, elles viennent tourner autour du bateau et nous saluer à à peine dix mètres de la poupe. Instant de grâce que je garde au fond des yeux.

Apéro et début du souper (potée de chou saucisses) en extérieur, P. nous raconte ses premières expériences en parapente, version freestyle non sécurisées ; A. enchaîne sur la mésaventure qu’il a faite vivre à sa copine en voulant lui faire une surprise — une initiation au parapente au départ d’une plage, encadrée par un véritable con fini ; la pauvre a terminé la tête dans le sable avant même le décollage, genoux écorchés. Nos rires.
Après le dîner, A. s’allume une cigarette
« pour parfaire cette journée si intense pour lui », et je me dis qu’on n’en a jamais fini avec la clope; quand on est fumeur, on l’est à vie. 22H20, nous avons fini de dîner, de débarrasser et tout le tintouin, avons rattrapé notre décalage des jours précédents.

 

_màj du 20 juin 2016 suite à la mise en ligne cela : Ludovico Einaudi performs an original piece « Elegy for the Arctic », on the Arctic Ocean to call for its protection, on June 17th 2016
(tourné dans l’archipel du Svalbard par 78°29’01.2″N 14°17’09.9″E)

 

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)