rue daguerre

© candice nguyen

Telepopmusik – Breathe

Paris Tolbiac, le 62 marron direction Alésia
dehors la pluie la nuit le froid – dedans le bus bondé surchauffé agité
monter composter dire bonjour trouver un coin se serrer
l’hiver. noël ? quelle année ? peut-être plusieurs en même temps
qu’il soit possible de dire d’un seul trajet tous les trajets en même temps.
mais que ces trajets se passent en hiver
ou pendant l’automne peut-être
emmitouflée.

se serrer encore
défaire écharpe gants bonnet
regarder à travers la vitre, ne constater que buée
passer la main, frayer un cercle duquel observer
en paix en silence fatiguée

revoir les agences de voyage direction la Chine la Corée
passer devant le Coche, revoir les vins chauds étudiants
bâtons de cannelle, rondelle d’orange, pingouins, moustache
vieilles à lunettes, verres de rouge, conversations saucisson
penser comptoirs, fumée de cigarette
se souvenir de l’époque où l’on s’épuisait à tuer le temps
dans les parcs les cafés, des après-midi entiers jusqu’aux nuits tombées
que maintenant le temps nous coule nous file
entre les doigts plus que fumée.

passer devant l’ancien cinéma le Barbizon
barricadé fermé depuis quand des années
entendre mère me dire oui je m’en souviens
des décennies tout au moins
et la rue Péan ? tu t’en souviens ?
comment ne pas. Maman.
des mercredis entiers
des mercredis entiers sur des années.

des années intersection avenue d’Italie Bnp
tourner la tête, revoir la pharmacie, le Canon
les couleurs de la ville, les lumières
ce qui clignote ceux qui klaxonnent
penser marchands, penser primeurs
penser que le nom d’une rue à côté serait aussi bien
le nom d’un métier
que celui de l’ami rencontré

continuer.

quelques centaines de mètres plus loin se souvenir
du magasin de jouets figurines bois pantins quel est ton nom ?
de l’Arial rendez-vous sortie de boulot
arrivées en avance, attente, attendre encore
zone de turbulences –
Sainte Anne
passer devant, dépasser peurs
peurs primales oui primales
que périmètre déclenche
chez moi qui d’autre ?
encore ? peut-être plus. continuer.

remonter fil de la mémoire
dire merci photographies je descends à Alésia
se dire qu’on aurait pu faire le trajet à pieds mais que non
c’est en bus qu’on le revoit
remonter la rue direction Denfert
arriver rue Daguerre
penser photographie liée au nom
épreuves, iode, mercure, chambre noire
penser trajets liés à cette photo
ce trajet emprunté on ne sait plus combien de fois
sur combien d’années ?

se souvenir ce soir-là d’ombres
les amis le salon
le parquet les rires le canapé
le froid, ce froid incroyable, fenêtres toutes ouvertes
tu veux ma mort mon foulard à pois
noir soie autour du cou joli nœud ajusté
s’en souvenir et pourtant ne pas reconnaître la main
ne pas reconnaître cette main
effacer à qui elle appartient
rue Daguerre, quelques années auparavant.

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)