shelter from the summer’s light high

Islande, octobre 2013 © candice nguyen
Islande, octobre 2013 © candice nguyen

Cabane (Soy un caballo) – Sangokaku

shelter from the summer’s light high
we are saved now
sitting in the dark house

« Le puits est à sec sous les os des prophètes, mais les tribus ne se sont pas dispersées. Elles rôdent et s’invectivent, lèvres fendues, langues blanches, barbes poussiéreuses. Rien qui puisse leur ôter la haine du sang ni la prédication de la bouche. Elles veulent encore s’étriper pour la source qui manque, pour le dieu qui ne parle plus, pour l’absolu qui se fait attendre. Elles n’ont que quelques mots qui meurent dans leurs cœurs, et pas de poèmes ; quelques hurlements, et pas de chants.

Le verbe appartient aux solitaires, à ceux qui ne ressemblent à personne et se moquent de tout projet grégaire. Ils se présentent au hasard, ne cognent pas à la porte. Comme bonne étoile, ils s’en tiennent au galop du soleil. Autant dire qu’ils vivent d’éblouissements, de passions féroces, de gestes gratuits. La route est à prendre, l’étape à brûler, le cap à doubler, l’espérance à passer par perte et fracas. Ce qui frappe en eux, c’est ce mystère qui fait de l’inconnu un signe de reconnaissance. Ils sont l’écho partagé d’un grand silence, l’ombre légère d’un grand midi. Une boussole de feu les veut à la verticale, sans trop de bagages, debout dans la lumière. Ils sont en partance au Levant, au Couchant, au plus noir de la nuit. On les repère quand ils s’effacent, on les aime quand ils ont fui.

En pleine course, ils régénèrent le souffle. Au fond des ténèbres, ils voient la terre sans escale. Dans la grotte aux trésors, ils lisent un manuscrit ou deux, mais ne recopient rien. Légers, oublieux, ils sont si intensément présents, insouciants, amoureux, que c’est à faire pâlir tout rêve d’éternité. »

André Velter, La vie en dansant, « Grand midi »

 

depuis dimanche seulement, je commence à m’inquiéter du départ. le temps filant si vite, les projets si nombreux, il est si facile de se laisser détourner de ses projets par ceux des autres, comme une fuite en avant de qui ne se sent assuré de ses propres moyens. mais je ne reculerai pas. le challenge est grand. plus j’y pense, plus je me dis que c’est complètement barré cette affaire dans laquelle je vais me jeter, affaire que j’ai évoquée deci-delà depuis mon séjour à montréal en janvier dernier mais à laquelle je n’ai pas pris encore le temps de réfléchir sérieusement. je l’évoque à voix haute parce que la parole est performative et qu’ainsi le disant, je m’oblige à tenir mes engagements. il n’y a aucune entité, aucun système, aucune personne, pour me dire comment la vie doit être — j’entends la mienne, seul ce que j’énonce à voix haute à autrui pour m’astreindre à ce que doit être ma vie. alors voilà, tout approche à grands pas, et je n’ai encore rien organisé. et j’ai placé la barre un peu haute pour ce que je suis. cette barre : mon départ seule au groenland au début de l’été (en transitant de façon très courte à l’aller par l’islande – peut-être plus longuement au retour si je n’ai pas épuisé toutes mes réserves de débrouille), avec un petit sac comprenant le matos photo et digital, et un bagage cabine comprenant le strict minimum vestimentaire et quelques victuailles.
un projet en plusieurs temps.

le premier cet été, avec un billet open sans date de retour. tout coût immensément cher là-bas et on ne peut dire que je roule sur l’or — d’ailleurs si mes débiteurs me lisent, je veux bien le paiement de toutes mes factures du travail effectué depuis ces quelques semaines passées avant mon grand départ, smiley qui dit ô monde… —,
chaque connexion aérienne coûte en effet, au bas mot six cent euros pour se rendre d’un point à l’autre (eh oui, pas de routes au groenland, que des coucous et des hélicoptères, et des distances si grandes à parcourir…), les auberges de jeunesse quant à elles, sont au prix d’un petit trois étoiles [ici le bruit d’une déglutition difficile]. mais je ne reculerai pas. [en pensée ici, ma tête que je tape moi-même contre le mur ou encore mieux, avec UNE GRANDE PELLE, une pelle GÉANTE ! car je me fais peur, on peut le dire.] un premier temps donc, qui sera celui d’une petite immersion dans le jour sans fin au faîte de la terre. je ne m’étends pas ici sur tout ce que cela peut m’évoquer de puissance et d’intensité, de calme et de trop plein.

Islande, octobre 2013 © candice nguyen

puis un deuxième volet l’hiver prochain, début 2016, avec non plus cette fois-ci comme ligne de mire le jour éternel, mais la nuit polaire. direction l’alaska / le yukon ou bien la baie d’hudson / le nunavut ; tout ça dans ce même élan de travailler sur la question de la lumière (enfin ça ne veut rien dire du tout, et c’est si réducteur : tout est toujours entremêlé — la vie ainsi faite).
un dernier volet enfin, au retour en france l’an prochain, avec un retravail conséquent de toute cette matière (mots, images, sons) pour en faire un objet protéiforme. ici non plus je ne m’étendrai pas, c’est encore trop tôt, au stade embryonnaire, et bien que les contours commencent à se dessiner (mon récent séjour parisien m’ayant rappelé combien les objets « totaux » sont ce qui me portent le plus. pourquoi choisir un medium plutôt qu’un autre, lorsqu’on peut tout mélanger ? comment s’en tenir à un seul prisme quand la vie est constituée de tant ?).

bref, depuis dimanche dernier donc, je commence seulement à m’inquiéter du départ. à mon habitude, je fais les choses en sens inverse. je commence par passer une annonce de sous-location de mon appartement, histoire de me virer de chez moi à une date précise et bien que je n’ai encore rien organisé – comme pour me mettre en danger situation de nécessité : là t’as plus le choix MEUF va falloir Y ALLER, puis je prends contact avec un photographe que nous avions publié dans PLATEFORM il y a quelque temps de ça, qui avait passé un mois au groenland et dont nous avions publié le rendu – superbe / je crois d’ailleurs à ce moment-là que je savais déjà que je voulais et allais partir.
il a l’extrême sympathie de me répondre immédiatement, et conjointement à ses encouragements (!), me prodigue le conseil auquel je n’aurais sûrement pas pensé : vas sur couchsurfing si si (!!!). ok. et me voilà donc depuis lundi soir (deux soirs de suite donc seulement maintenant) à prendre contact avec des gens qui habitent là-bas. des danois, pas mal, et des natives, aussi. ô magie de l’internet. magie de l’internet qui sauve ma folie et mes décisions faussement insouciantes. comment aurai-je fait il y a quinze ans ?
autrement.
certes. je préfère maintenant quand même. point trop n’en faut de se bousculer de la sorte.
d’ailleurs, il faut que je vous laisse, je dois répondre à mon courrier du groenland (chaque soir, à cette heure-ci, la deuxième journée commence, parce que oui, je suis quand même encore en activité professionnelle hein).

Islande, octobre 2013 © candice nguyen
Islande, octobre 2013 © candice nguyen
Islande, octobre 2013 © candice nguyen
Islande, octobre 2013 © candice nguyen
Islande, octobre 2013 © candice nguyen
Islande, octobre 2013 © candice nguyen
Islande, octobre 2013 © candice nguyen
Islande, octobre 2013 © candice nguyen

Photographies : avec a., Islande, octobre 2013
Et la vie en dansant malgré tout, malgré toutes les choses moches de ce monde, et justement peut-être encore plus, parce que elles.

shelter from the winter’s light damp
we are saved now
sitting in the bright house

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)