ces corps diaphanes ne sont pas nôtres

 

Je n’aime pas trop qu’on me bouscule dans la mort comme ça.
Ce sont les mots par lesquels j’ai débuté un message aujourd’hui.

© candice nguyen

_Il y a ce cavalier au galop dans la steppe avec ses cris et sa sueur légués à l’éphémère.
Il y a ce sursaut d’extase et de mort qui moissonne les sables.
Il y a ce vieux silence des temples, des ruines, des ermitages et des tanières abandonnées.*

Wovenhand – Singing Grass

_Il ne reste que la soif pour inventer des mondes moins affligeants que ce monde. La soif, et cette rage qui sait que les solitaires et les loups ne sont pas sans douceur. La soif, et ce vertige de chants chuintés dans des fémurs de moine ou des cornes de bouc. La soif comme désir, comme impatience, comme exorcisme, mais aussi comme attente et ascèse. Car celle-ci n’est pas seulement promesse d’un breuvage que visite le soleil. Elle est ce qui invente l’ivresse d’avant-boire, l’extase sèche où dansent les ermites et les fous.
Les lieux, partout, sombrent sur le corps de la terre. Plus question de déambuler innocents. Plus question d’être aveugles les yeux ouverts. Aux parcs, préférer les friches. Aux îles lointaines, les récifs. Aux alpages, les à-pic. Aux tropiques, les cinquantièmes rugissants. Le cap est décidément à l’impossible, à l’insalubre, au fantomatique, à l’inexploitable.**

_au jour sans fin et sa nuit polaire

_en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie vivants en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie en vie vivants en vie en vie en vie nous sommes vivants. ces corps diaphanes ne sont pas nôtres. de la mollesse des jours nous faisons fi et mordons à pleine chair soulevés par le vent. la nuit nous veillons jusque très tard pour puiser dans nos corps et réveiller nos pensées embrumées de ce qu’on appelle désabusement quotidien, routine, nécessités. il n’est de démission acceptée ni acceptable, seule la nécessité de lever les sorts sur ce désastre mou, un coup de pied dans la fourmilière comme les premiers pas d’un enfant non assurés encore qui trébuchant trébuchant trébuchant un jour de printemps sur la plage de galets se relève encore et encore assurément et prend corps avec son corps dans ce monde qui est le sien qui est le nôtre en vie en vie en vie vivants nous sommes vivants.

 

* André Velter, La vie en dansant, Les Argonautes
** André Velter, La vie en dansant, Du Vent

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)