le plus beau des courages

_envie folle de chaleur
et de la baie

de nuit

surtout de nuit

© candice nguyen

Frédéric D. Oberland – Scene VI **

« Je ne fais pas semblant. Je n’ai pas à acheter ma jouissance tous les jours à crédit ou bien à vivre sans idées, sans sensations, à écouter le bruit de fond pornographique de ce que d’aucuns nomment réalité. Non, c’est plus fort que moi : tout peut encore arriver. À chaque instant, si je le décide, je peux me réveiller de cette folie, de toutes ces mauvaises veilles et repasser au présent, maintenant. Trouver mon point de jouissance, revenir à la précision, à la définition des mots, au dictionnaire, seule manière de ne pas être étouffé par le langage de la terreur. C’est un effort de tous les jours, un combat, le seul combat au fond.

Ébranler les structures rouillées, opposer ma traversée à l’envers du temps falsifié. Bouffées d’air frais, vertiges, ouvertures à double tour. À chaque séquence de ma vie, trouver le bon rôle, légèrement en retrait, hors des ténèbres et puis recommencer, c’est-à-dire redistribuer les cartes à chaque monde traversé, à rebours des lieux du crime, de la pulsion sociale, du trucage des corps.

Cette soirée me pousse à agir, à imposer ma volonté. Je suis surpris d’avoir la possibilité d’être heureux en ce début du XXIe siècle. (…)

Trouver son milieu donc, là où les forces sont les plus actives, les plus efficientes, là où vous pouvez porter les coups les plus précieux, les plus beaux, les plus dévastateurs pour le système existant. Parce que résister, être subversif, c’est appeler vers soi ce qui est bon pour soi. Rien d’autre. C’est le plus beau des courages de vouloir être heureux. C’est le plus difficile aussi. Il faut vouloir éprouver le monde et aller au-devant de lui, que le jour s’ajoute au jour pour devenir plus léger, plus digne, plus élégant. (…)

C’est un autre regard sur le monde, voir ce qu’on ne voyait pas avant, jusqu’aux fleurs, aux oiseaux, à la beauté, à l’amour. C’est une conquête du hasard, la multiplication dans tous les domaines de la vie des pratiques expérimentales. L’abandon des buts au profit d’une conscience de la désorientation permanente. La voie du milieu est là. »
Ferdinand Gouzon, Entrer dans l’illégalité, éds. Derrière la salle de bains, 2014

_alors que les corps s’amoncellent et que nous finirons tous par danser pieds nus sur les cadavres (et bientôt sous) au lieu d’avoir eu la sagesse des rochers, je me demande comment donne-t-on naissance en deux mil seize en europe et ailleurs, ce qu’on se dit tard à la nuit pour se rassurer et quels mots bidons on peut trouver pour consoler les enfants, pas assez grands encore pour tout leur dire,
déjà trop grands pour tout cacher;
des guerres, des massacres, des haines de tout temps il y en a eu (ainsi résume à la perfection la Teen girl AI et sa mise à mort par microsoft en moins de 24h – pas vraiment un fail là, sinon un épiphénomène saisissant de ce que l’humanité présente de plus beau sous la moulinette des algorithmes,
ainsi par ce prisme se résume également mon histoire familiale, éclatée, expatriée, aux quatre vents, et comment j’ai pris vie sur cette Terre en France et non pas au Vietnam – mes parents ayant fui leur pays en guerre à la fin des années soixante),
non, la nausée permanente vient ici de cette pornographie permise par les flux d’information et qui s’intensifie sous le joug de ce que chacun y rajoute son petit grain de sel, comment te dire cher utilisateur des réseaux sociaux que ton avis dégoulinant et tes partages incessants de la parole institutionnalisée on s’en carre : je me torche avec.

_il y a fort heureusement la dernière newsletter d’ARTE Radio qui commence ainsi :
« Meurtries,
Épouvantés,
On est dans la mouise, les enfants, et elle monte. Je voudrais bien vous chatouiller le moral mais je préfère vous dire la vérité : ça ne va pas s’améliorer. Vous vous en doutez bien. Amateurs de Mad Max et de films de zombies, nous serons bientôt comblés. »

et puis les derniers mots d’arn. dans Nuit & Jour
« nous sommes la haine des frontières de toutes sortes et avant tout, celles qui se dressent dans un seul homme, celles qui se lèvent entre l’éclat et la souffle de la bombe. Nous sommes la conjuration de l’Histoire.
Nous nous disons : nous sommes la force d’être contre l’Histoire.
Nous sommes seuls par millions ce soir. »

_je me demande aussi si sous Giscard d’Estaing ou n’importe quel autre président, une frange immense de la population (enfin ma fausse naïveté aime à imaginer qu’elle est immense) se sentait heurtée de toutes parts — pour ma part jusqu’au viol — avec ce torchis détestable qui nous sert de gouvernement et que nous avons élu (ha ha), et si une frange (beaucoup plus petite cette fois-ci je suis prête à l’accorder) de cette même population ne rêvait pas de tout brûler, toutes ces institutions moisies et ces république et démocratie qui n’en portent plus que le nom.
(ainsi par ce billet écrit à la va-vite candice fit son coming out)

_la baie

de nuit

surtout de nuit

© candice nguyen
© candice nguyen

 


 

** extrait de Peregrinus Ubique, un très bel objet visuel et sonore à découvrir

Photographies : Baie d’Halong, VN, 2014

par Candice Nguyen

« je suis le danseur étoile, ma sœur est la ballerine, nous ne faisons plus aucun poids, nous volons en l'air, c'est une des jubilations de l'enfance de pouvoir se transformer en plume. » —Hervé Guibert

DANS LES CARNETS

à propos du silence de Larmes (largo di molto)